Séparer une activité d’un groupe sans désorganiser l’ensemble, tout en créant de la valeur : c’est tout l’art du carve-out. Longtemps réservé aux grandes opérations industrielles ou financières, ce type de projet stratégique se démocratise, porté par les enjeux de recentrage, de valorisation et de transformation des entreprises.
Mais derrière ce terme anglo-saxon se cache une mécanique exigeante, qui touche à la fois aux dimensions juridique, financière, sociale, technologique et humaine. Réussir un carve-out c’est organiser sa transition, son autonomie et sa réussite future, tout en limitant les risques pour le reste de l’organisation.
Carve-out : de quoi parle-t-on exactement ?
Derrière ce terme technique se cache une opération stratégique de plus en plus fréquente dans les entreprises en transformation.
Définition du carve-out : qu’est-ce que c’est ?
Le carve-out est une opération de séparation d’une activité ou d’un actif au sein d’un groupe afin de l’isoler juridiquement, financièrement et/ou opérationnellement. Cela peut concerner une filiale, une division, une gamme de produits, un service ou même un actif immatériel.
L’objectif n’est pas nécessairement de vendre immédiatement, mais de créer une entité autonome, parfois dans l’optique d’une cession, d’une entrée en bourse ou d’un partenariat stratégique. Ce processus implique donc une restructuration profonde, qui touche aussi bien aux contrats, aux systèmes IT, aux ressources humaines qu’aux flux financiers.
Le carve-out peut être complet (création d’une société distincte) ou partiel (simple détourage comptable ou fonctionnel), selon les objectifs poursuivis et le niveau d’intégration initial de l’activité concernée.
À quoi sert un carve-out dans la stratégie d’entreprise ?
Le carve-out n’est pas une opération administrative, c’est un levier stratégique puissant.
Les entreprises y ont principalement recours pour :
- Recentrer leur portefeuille sur leurs activités les plus rentables ou les plus porteuses
- Préparer une cession ou une levée de fonds en valorisant un actif isolément
- Gagner en agilité, notamment dans les groupes complexes ou en croissance rapide
- Faciliter une transition dans le cadre d’une fusion, d’une scission ou d’un désengagement progressif.
Bien mené, un carve-out permet donc de créer de la valeur à court et long terme, tout en clarifiant les lignes de force de la stratégie d’entreprise.
Carve-out vs carve-in : quelles différences ?
On parle de carve-out lorsqu’on extrait une activité d’un ensemble existant pour la rendre indépendante.
À l’inverse, le carve-in désigne le processus par lequel une activité ou une entité autonome est réintégrée dans une structure plus large, par exemple après une acquisition ou une fusion. Là où le carve-out isole et simplifie, le carve-in regroupe et fusionne.
Ces deux démarches ont en commun une forte dimension transformationnelle, mais répondent à des logiques inverses : externalisation stratégique dans un cas, intégration dans l’autre.
Dans quels cas une entreprise engage un projet de carve-out ?
Le carve-out est souvent une réponse pragmatique à des enjeux stratégiques de transformation, de croissance ou de recentrage.
Recentrage stratégique sur le cœur de métier
L’une des motivations les plus fréquentes d’un carve-out est le recentrage. Lorsqu’un groupe diversifié souhaite se concentrer sur ses activités les plus rentables, les plus stratégiques ou les plus différenciantes, il peut décider de se séparer d’activités périphériques, même rentables.
L’objectif est alors de clarifier la vision de l’entreprise, d’alléger la structure, de réduire la complexité organisationnelle et de libérer des ressources pour renforcer l’investissement dans le cœur d’activité.
Valorisation ou cession d’un actif non prioritaire
Un carve-out peut également viser à valoriser un actif que l’entreprise ne souhaite pas forcément conserver, mais qui peut prendre plus de valeur s’il est isolé.
C’est une stratégie courante en amont d’une cession partielle ou totale : en créant une entité distincte, dotée de ses propres comptes, contrats et moyens, l’entreprise facilite l’entrée d’un investisseur, d’un partenaire industriel ou d’un repreneur.
Cela permet souvent d’optimiser la valorisation en rendant l’activité plus lisible et attractive.
Préparation à une entrée en bourse ou levée de fonds
Certaines entreprises choisissent de réaliser un carve-out dans le cadre d’une introduction en bourse (IPO) ou d’une levée de fonds dédiée. En isolant une activité ou une filiale à fort potentiel, elles peuvent construire un véhicule d’investissement plus clair, autonome et cohérent pour les marchés financiers.
Cette démarche permet de donner de la visibilité à une activité innovante ou en croissance, tout en protégeant la maison mère de certains risques opérationnels ou sectoriels.
Réorganisation suite à une fusion, acquisition ou restructuration
Le carve-out intervient souvent à la suite d’une restructuration, d’une fusion ou d’une acquisition. Lorsqu’un groupe acquiert une entreprise, il peut souhaiter en extraire certaines entités pour les conserver, les céder ou les redéployer ailleurs.
De même, dans les grands plans de transformation, un carve-out peut servir à réorganiser les lignes de reporting, à simplifier les structures juridiques ou à préparer une nouvelle organisation territoriale ou sectorielle.
Quelles sont les grandes étapes d’un projet carve-out ?
Comme vous vous en doutez, un carve-out ne s’improvise pas : il repose sur un enchaînement d’étapes, chacune demandant méthode, rigueur et coordination transversale.
Périmètre initial et phase pré-deal
Tout projet de carve-out commence par une définition précise du périmètre : quelles entités, quels actifs, quels contrats, quelles équipes sont concernés ? Cette phase préliminaire, souvent menée avec l’appui d’experts juridiques, financiers et opérationnels, permet :
- D’identifier les dépendances entre l’activité à extraire et le reste du groupe
- D’évaluer les risques juridiques, sociaux, fiscaux ou IT
- De poser les bases contractuelles de l’opération (confidentialité, data room, accords de transfert, etc.).
Cette étape permet de sécuriser la suite du projet, notamment dans le cadre d’une cession à un tiers.
Préparation du Day 1
Le Day 1 correspond au jour officiel où l’entité carved-out devient autonome (juridiquement ou opérationnellement). Avant cette date, une série d’actions préparatoires doivent être menées :
- Création ou restructuration juridique de la nouvelle entité
- Transfert des salariés, en lien avec les obligations légales et le dialogue social
- Réorganisation des contrats fournisseurs et clients
- Séparation des systèmes d’information et de la comptabilité
- Revue des obligations fiscales et sociales.
Le délai entre l’annonce d’un carve‑out et son lancement peut atteindre 27 mois, avec une durée moyenne autour de 12 mois, notamment pour les opérations cotées ou spin‑off
L’objectif est d’assurer que, dès le Day 1, l’entité puisse fonctionner de manière autonome, sans interruption de ses opérations.
Gestion du TSA (Transition Service Agreement)
Dans de nombreux cas, l’entité carve-out continue temporairement à s’appuyer sur certains services du groupe d’origine : systèmes IT, paie, achats, etc. C’est ce qu’on appelle le TSA (Transition Service Agreement).
Ce contrat encadre :
- La nature des services partagés,
- Leur durée limitée (souvent 6 à 24 mois)
- Les engagements de qualité et de coût
Un TSA bien conçu permet une transition fluide, mais nécessite un pilotage strict pour éviter les prolongations coûteuses ou les dépendances durables.
Phase de transfert et autonomisation de l’entité carved-out
Pendant et après le TSA, l’objectif est de transférer progressivement les compétences, les outils et les responsabilités vers la nouvelle structure.
Cela implique :
- La mise en place de nouveaux outils internes (ERP, SIRH, CRM)
- Le recrutement ou la montée en compétences de l’équipe dirigeante
- L’adaptation des process internes
- Le déploiement d’une culture propre si l’entité devient indépendante
C’est une phase délicate qui exige un accompagnement terrain, de la pédagogie et un suivi rapproché.
Suivi post-séparation et optimisation
Une fois l’entité opérationnelle de manière autonome, un suivi post-carve-out s’impose pour :
- Mesurer les résultats (coûts, délais, qualité du transfert)
- Ajuster les process ou contrats si nécessaire
- Capitaliser sur l’expérience pour d’éventuels projets similaires
Cette phase permet de tirer les enseignements clés du projet et d’ancrer durablement les bénéfices de l’opération.
Quels sont les facteurs clés de succès d’un carve-out réussi ?
Un carve-out est un projet complexe à fort enjeu. Pour être mené à bien, il nécessite une organisation rigoureuse, une vision claire et une mobilisation transversale.
Une gouvernance solide et transverse
Le succès d’un carve-out repose avant tout sur une gouvernance structurée. L’ensemble des parties prenantes doit être aligné autour d’une feuille de route commune, avec :
- Une direction claire portée par le comité de pilotage
- Des responsabilités bien réparties entre les fonctions (finance, RH, juridique, IT, etc.)
- Des rituels de suivi réguliers (comités projets, comités stratégiques)
Cette gouvernance doit pouvoir prendre des décisions rapides, arbitrer entre les priorités opérationnelles et stratégiques, et sécuriser les ressources.
Selon McKinsey, 70 % des transformations échouent principalement pour des raisons humaines un signal fort que la dimension culturelle doit être prioritaire
Une anticipation rigoureuse des risques et contraintes
Le carve-out touche à de nombreux domaines sensibles : contrats, fiscalité, social, données, systèmes IT, obligations réglementaires. Un défaut d’anticipation peut entraîner des surcoûts, des retards, voire un blocage juridique.
Dès les premières étapes, il est essentiel de :
- Cartographier les risques par domaine (juridique, social, technique…)
- Évaluer les dépendances critiques avec le reste du groupe
- Prévoir des plans de secours et des délais réalistes.
Plus la phase amont est rigoureuse, plus la mise en œuvre est fluide.
Une communication claire avec toutes les parties prenantes
Un carve-out peut générer de l’incertitude et de la résistance, notamment du côté des collaborateurs transférés, des clients ou des partenaires. Une communication mal gérée peut fragiliser le projet.
Il est donc primordial de :
- Expliquer les raisons et les objectifs du carve-out dès que possible
- Rassurer sur les impacts concrets pour les équipes
- Associer les représentants du personnel dans le respect du cadre légal
- Informer régulièrement les clients et partenaires concernés.
Une communication proactive et transparente permet de maintenir l’adhésion tout au long du projet.
Une expertise pluridisciplinaire
Le carve-out mobilise une expertise transverse rarement disponible en interne. Juristes, fiscalistes, experts IT, RH, DAF, DSI, acheteurs, tous doivent travailler de concert pour assurer un transfert cohérent et sécurisé.
C’est pourquoi les projets de carve-out font souvent appel à :
- Des cabinets spécialisés (avocats, consultants M&A, experts IT)
- Des profils hybrides, capables de faire le lien entre stratégie, technique et opérationnel.
L’objectif est de garantir la continuité opérationnelle tout en respectant les délais et les contraintes légales.
Le rôle clé du manager de transition ou chef de projet carve-out
Un projet de cette ampleur mérite un pilotage dédié, incarné par un chef de projet expérimenté ou un manager de transition.
Ce rôle est central pour :
- Coordonner les équipes internes et externes
- Veiller au respect du calendrier et du budget
- Arbitrer rapidement en cas de blocage
- Porter la communication et le lien entre les métiers
Un bon chef de projet carve-out agit comme un chef d’orchestre, garant de la cohérence et de l’avancement global.
FAQ – Réponses sur le carve-out
Quelle est la différence entre un spin-off et un carve-out ?
Le carve-out sépare une activité, souvent en vue d’une cession partielle ou totale. Le spin-off crée une nouvelle entité indépendante, généralement conservée par les actionnaires d’origine.
Qu’est-ce qu’un carve-in ?
C’est l’inverse d’un carve-out : il s’agit d’intégrer une activité ou une entité autonome dans une structure existante.
Qu’est-ce que le détourage d’activité ?
C’est l’identification et l’isolement d’une activité au sein d’un groupe (juridiquement, financièrement, opérationnellement) en vue d’un carve-out.
Quelle est la durée moyenne d’un projet de carve-out ?
Entre 6 et 18 mois selon la taille de l’activité et la complexité des systèmes à séparer.
Un carve-out est-il toujours suivi d’une vente ?
Non. Il peut aussi préparer une entrée en bourse, une levée de fonds ou une réorganisation interne.
Qui pilote le carve-out au sein de l’entreprise ?
Un chef de projet dédié ou un manager de transition expérimenté, en lien avec la direction générale.
Un carve-out est-il forcément risqué pour les salariés concernés ?
Pas nécessairement. S’il est bien géré, le carve-out peut offrir de nouvelles perspectives aux équipes transférées.
Conclusion : Le carve-out, un levier stratégique puissant s’il est bien maîtrisé
Le carve-out est un véritable projet de transformation, qui peut générer de la valeur, clarifier la stratégie d’entreprise et renforcer l’agilité d’un groupe. Encore faut-il en maîtriser la complexité, anticiper chaque étape et s’appuyer sur une gouvernance solide.
Points à retenir :
- Le carve-out consiste à isoler une activité pour la rendre autonome, souvent en vue d’une cession ou d’un repositionnement stratégique.
- Il intervient dans des contextes variés : recentrage, fusion, levée de fonds, réorganisation.
- Le succès repose sur une préparation rigoureuse, une gouvernance transversale et une coordination experte.
- Le TSA est un outil clé pour assurer la transition entre l’ancien et le nouveau modèle.
- La communication et l’accompagnement humain sont essentiels pour embarquer toutes les parties prenantes.
Comment structurer un TSA efficace ?
Il faut définir clairement les services fournis, leur durée, les coûts associés et les niveaux de service attendus (SLA).